Fabrice Bonnifet, directeur développement durable du groupe Bouygues, président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) et co-auteur du livre "L'entreprise contributive" (Dunod) nous livre sa vision sur ces entreprises qui intègrent les enjeux de long terme dans leur stratégie.
Comment se définit l’entreprise contributive ?
Les entreprises contributives sont celles qui intègrent les enjeux de long terme dans leur stratégie. Elles ont un plus petit dénominateur commun qui se matérialise autour de 3 leviers :
1- Se resynchroniser au vivant, ce qui est une question de survie. Cela signifie intégrer les faits scientifiques en tant que données d’entrée de leur stratégie : ne pas émettre plus de Co2 que ce que la planète peut absorber naturellement et prendre en compte ses impacts environnementaux significatifs dans son modèle économique afin de pouvoir les réduire voire les supprimer. Or, aujourd’hui très peu d’entreprises dans le monde le font.
2 - Changer sa raison d’être. Ce ne doit plus être une raison d’être marchande, mercantile, visant uniquement à rémunérer l’actionnaire, satisfaire les clients et donner du travail aux collaborateurs et à la supply chain. Une entreprise contributive doit aller bien au-delà de la préservation du capital financier, elle doit aussi maintenir son capital naturel et son capital humain.
3 - Le modèle économique. Celui qui domine aujourd’hui est le modèle linéaire qui consiste à extraire des matières premières, fabriquer des produits, les vendre, les jeter. Cette approche n’est pas soutenable dans un monde fini en ressources.
Il convient d’adopter une approche perma-circulaire, intégrer du vivant dans le processus de conception pour mettre en place une économie de la fonctionnalité qui s’appuie sur une approche circulaire basée sur le réemploi des matériaux, la réparabilité, la maintenabilité des objets du quotidien.Il est essentiel de prioriser l’objet social de l’entreprise sur la production de solutions durables qui ont une forte utilité sociale. La futilité ne devrait plus être manufacturée. Les ressources naturelles sont précieuses, on n’a plus les moyens de les gaspiller.
Pour mettre en place cette révolution, il y a plusieurs leviers à activer :
- Libérer l’entreprise de la bureaucratie, d’un système de management déresponsabilisant pour redonner du sens aux collaborateurs.trices, leur permettre de créer, d’innover plus facilement et de leur accorder le droit à l’erreur.
- Adopter une autre forme de leadership reposant sur des critères d’appréciation basé sur la confiance et le respect.
- La question qui vient ensuite est : comment valoriser le capital immatériel de l’entreprise? Comment mettre en place des nouveaux outils de pilotage pour rendre compte aux parties prenantes que l’entreprise est sur une dynamique de pérennité?
Certes l’entreprise contributive n’aura peut-être pas les mêmes performances financières qu’une entreprise prédatrice traditionnelle qui n’intègre pas les coûts de préservation de son capital naturel et humain, mais elle sera surement beaucoup plus durable.
Quel est le rôle du/de la dirigeant.e et des parties prenantes dans un modèle d’entreprise contributive ?
Le premier levier pour engager une entreprise sur la voie de l’entreprise contributive, c’est la formation des dirigeants, lutter contre le principal frein à l’action qui s’appelle l’ignorance. Les gens n’ont pas été formés sur le couplage climat/énergie, du coup ils restent sur des dogmes économiques dépassés.
Or, la genèse de tout c’est de comprendre ce lien, car une entreprise ce sont des matières premières transformées avec de l’énergie, des convertisseurs, des machines et de l’intelligence humaine. Si moins d’énergie rentre dans le système ainsi que moins de matières premières, il y aura moins de business dans la configuration actuelle. Sur une planète aux ressources finies, il est essentiel de mettre en œuvre une économie que se basera sur une soutenabilité forte.
Qu’est ce qui amène ces dirigeant.e.s à bouger ?
Lorsqu'ils comprennent le lien entre l’énergie et le climat. Le problème ce ne sont pas les solutions qui existent dans la plupart des secteurs, c’est le temps qu’il reste pour les mettre en œuvre : à peine 10 000 jours, sachant qu’après vont se développer des phénomènes d’emballement associés à des dépassement de seuils irréversibles.
La seule chose qui puisse faire agir les gens, c’est de prendre le temps de se former.
Parmi les 150 citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat que j’ai rencontrés dans le cadre de mon audition, certains étaient climato-sceptiques. Ils ont rencontré des experts qui ont échangé avec eux et au final leurs propositions sont plus encore plus radicales que ce que proposent certains partis politiques, tout simplement parce qu’ils ont compris l’urgence d’agir.
Si on prenait le temps de former les 7,7 milliards d’humains de la planète, la majorité comprendrait qu’il faut se dépêcher. Aujourd’hui les gens n’ont pas conscience des ordres de grandeur.
Qu’est-ce qui vous donne espoir ?
Les jeunes, notamment ceux à l’origine du manifeste « Pour un réveil écologique ». Mais sinon rien dans les propositions des décideurs actuels ne me fait rêver à un monde décarboné et inclusif et surement pas les théories sur le techno-solutionnisme. La prospérité pour tous et l’abondance frugale est possible mais nous devons changer notre « logiciel » interne, il reste peu de temps. Notre livre avec Céline [Puff Ardichvili] donne des clés sur comment agir, on espère qu’il va aider le mouvement des entreprises contributives à se démultiplier.